En tant que figure de style, l’allégorie est une forme de métaphorisation à grande échelle qui se
manifeste souvent sous les traits de la personnification.
C’est-à-dire qu’une réalité abstraite : une
notion (la démocratie, la simplicité volontaire), une valeur (la justice, le
courage), un sentiment (la compassion, l’inquiétude, la colère) peuvent adopter
des caractéristiques humaines, et s’adresser à nous comme s’il s’agissait de
personnages en chair et en os, chacun doté d'une conscience et d'un discours qui lui soient propres.
Un procédé analogue permet également de faire d’une chose
concrète, d’ordinaire inanimée, dénuée de pensée ou de volonté, une entité
possédant une sorte de vie autonome et des attitudes caractéristiques d’un
personnage humain.
Par exemple, qu’en est-il si le sourire devenait le protagoniste d’une histoire, et qu’il se
mettait à nous raconter sa vie, comme dans le petit texte qui suit ?
LE SOURIRE
« Détrompez-vous sur mon compte, disait le Sourire à qui voulait bien l’entendre, un rictus au coin des lèvres... Vous avez cru
me voir naître sur son visage, à elle ; ou sur le sien, à lui, quand il a vu qu’elle
aussi m’avait adopté... Vous avez songé que tout venait de commencer. Ici, maintenant,
comme ça. Avec la naissance d'un sourire...
Il n’en est rien !
J’ai vu le jour il y a si longtemps ! En cette occasion,
depuis toujours oubliée, où le plus lointain de vos lointains ancêtres, au moment de
boire, m’a esquissé. Et s’est vu pour la première fois sourire dans l’eau troublée par le mouvement brusque
de sa main vers sa bouche asséchée. A-t-il souri d’avoir enfin pu rassasier sa soif
? Ou d’amusement, à la vue de cette bête inquiète et tourmentée, étrange reflet de lui-même
qui s’émerveille de surprendre son regard dans les flots... sans vraiment se
reconnaître ?
Qu’importe ! Moi, Sourire,
j’étais né. Dès lors, je n’aurais plus de cesse de courir d’un visage à l’autre,
de me multiplier, me disséminer, me répandre tant de fois en complicités aussi franches qu'inattendues.
Tant d’autres fois, pourtant, le couteau prêt à frapper en plein cœur la
distraction de l'ennemi se cacherait derrière le masque de ma sincérité.
Je suis depuis toujours le code, le secret qui fait se reconnaître entre
eux les amoureux. Partout, je sèmerai, jusqu'à m'épuiser, la quiétude et la confiance.
Quelquefois, je laisserai entrevoir
la tendresse derrière les reproches d’une mère.
Je me cacherai dans les yeux de qui n’ose se couvrir du doux ridicule de mon apparence, craignant manquer de sérieux...
Je me cacherai dans les yeux de qui n’ose se couvrir du doux ridicule de mon apparence, craignant manquer de sérieux...
Je me glisserai dans
chaque pore de celui ou celle qui m’a reconnu dans le silence de l’autre, pour
qui l’on soupire sans se déclarer.
Jamais je ne cesserai d'habiller le visage qui s'étonne, amusé devant la danse incongrue, bruyante et effrénée du monde.
Je servirai d’étendard aux faces couvertes de boue qui se
relèvent, la tête haute d’avoir su me conserver comme alliés.
J’ai ferai éclater
l’amour dans un rire qui frémit ; je retomberai en guerre jusqu’à ce qu’on accorde une trêve au délire
des obus.
J’étais de tous les pactes et de tous les espoirs, des plus
sacrés aux plus profanes. Ceux que vous avez fièrement défendus, avant de les fouler aux pieds.
Et vous croyez m’avoir vu naître, aujourd’hui, là, sur son
visage. Détrompez-vous. Oh ! Détrompez-vous !!!
J’étais, et serai toujours là, tapi dans l’ombre du
quotidien, prêt à sauter sur le dos d’une joie sans vouloir la dompter.
Je suis le croissant de lune qui illumine vos craintes. Vous
rêvez quelquefois de moi, la nuit. Et seuls les témoins de l’obscurité savent
que je prends refuge sur vos lèvres, quand les tensions s’estompent au creux
berçant de la sérénité.
Je suis en chaque cellule de votre être, cette étincelle de paix
qui respire en sourdine, et qui attend son heure pour se révéler au monde.
Oui, je suis le Sourire. Instant de félicité immémoriale, derrière vos yeux de glace. Que je ferai
fondre en larmes des bonheurs retrouvés.
Vous, qui m’avez si souvent refoulé, pour rester
en contrôle d'un malheur apprivoisé.
Combien plus familier... »
EXERCICE : À
partir d’une réalité de votre choix, pourquoi ne pas imaginer ce que tel
concept (le pouvoir, l’ennui, la persévérance), telle émotion (la peur, la
tristesse, la surprise, l’enthousiasme), tel objet (une boîte à lettres, une
patère, une bague) aurait à nous dire ou se mettrait à faire, si on lui donnait
corps et lui prêtait parole ?
© 2013, Martin
Mercier / Éditions Figura