jeudi 27 juin 2013

Métaphore et image surréaliste


Qu’il s’agisse d’écrire un poème ou de conférer une dimension poétique à un récit dramatique ou narratif, les processus de métaphorisation demeurent essentiels à explorer et à maîtriser.

Traditionnellement, la métaphore consiste à établir un rapprochement entre deux réalités ou phénomènes qui entretiennent entre eux une certaine ressemblance, sur la base de laquelle ils se verront associés, voire substitués l’un à l’autre.

L’impact de l’image poétique obtenue dépend du caractère révélateur ou éclairant du rapprochement ainsi effectué, qui démasque et dévoile des rapports de similitude que nous n’avions peut-être pas, jusqu’ici, entrevus ni perçus entre les termes alors mis en relation.

Depuis l’avènement du surréalisme, un nouveau type d’effet poétique est visé : l’image surréaliste, sorte de métaphore dissonante, asymétrique, subvertie. En effet, sont alors toujours assimilées ou associées deux réalités, comme y procède la métaphore. Par contre, leur rapprochement ou leur substitution s’effectue cette fois en cherchant à faire entrer en collision des idées, choses et phénomènes n’entretenant à toute fin pratique aucune similitude ou ressemblance nette.

En dépit de leur dissemblance prononcée, évidente : sous l’effet de l’image surréaliste, ces termes se voient assimilés de force par la volonté de l’auteur. Du choc des contraires, de la confrontation calculée de termes profondément hétéroclites, est ainsi obtenue une étincelle d’originalité. Même en l'absence de ressemblances marquées, le caractère étrange, déroutant, singulier de l’image surréaliste n’est pas sans laisser entrevoir divers types de rapprochements, ténus sans doute, mais combien révélateurs, entre les deux réalités profondément distantes qu’elle associe volontairement.

Ainsi, quand un poète affirme : « Ses yeux sont l’encrier de mon inspiration » on peut y voir une métaphore traditionnelle. Les yeux peuvent être noirs comme l’encre ; le regard de quelqu’un peut inspirer l’amour ou diverses émotions que la plume pourra mettre par écrit ; un encrier possède un goulot rond, comme la prunelle des yeux, etc.

Toutefois, quand l’auteur prétend : « Ses yeux, manuscrits incendiés », il n’y a plus là de ressemblance évidente de forme ou de fonction entre les réalités que l’image surréaliste associe de force. L’image n’en est pas moins sujette à diverses interprétations éclairantes. Ses yeux seraient-ils, comme un manuscrit, porteurs de messages aujourd’hui indéchiffrables, puisque le feu (l’amour ? la haine ? la pudeur ?) l’a réduit en cendres ? Cette image suppose-t-elle une volonté de cacher à autrui ses véritables sentiments, en anéantissant aussitôt (avant que quiconque ne puisse lire le manuscrit) ce que ses yeux auraient pu trahir ?

Aujourd'hui encore, la métaphore traditionnelle peut posséder un impact notable, en particulier lorsqu’elle fait l’objet d’une recherche d’originalité dans le choix des ressemblances et similitudes sur lesquelles elle se fonde. Toutefois, l’étendue des dimensions poétiques offertes par l’image surréaliste se révèle encore plus vaste, puisque celle-ci ne se limitera jamais au fait d’associer des termes possédant, de façon plus ou moins évidente, des caractères analogues.

L’image surréaliste donne ainsi accès au mystère, à l’étrangeté, à l’onirique, au merveilleux. Le vers contenant ces images nous saisit par son caractère surprenant, sa déroutante singularité. Il fait impression sur notre sensibilité de manière inattendue, frappe sans prévenir là où l’on ne s’y attendait pas, morsure sournoise du poème qui engendre un délire momentané, aussi hallucinatoire que transfigurant, tandis que se bousculent dans notre esprit les fascinantes interprétations dont il peut être l’objet.  



© 2013, Martin Mercier / Éditions Figura

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