Qu’il s’agisse d’écrire un poème ou de conférer une
dimension poétique à un récit dramatique ou narratif, les processus de
métaphorisation demeurent essentiels à explorer et à maîtriser.
Traditionnellement, la métaphore consiste à établir un
rapprochement entre deux réalités ou phénomènes qui entretiennent entre eux une
certaine ressemblance, sur la base de laquelle ils se verront associés, voire
substitués l’un à l’autre.
L’impact de l’image poétique obtenue dépend du
caractère révélateur ou éclairant du rapprochement ainsi effectué, qui démasque et
dévoile des rapports de similitude que nous n’avions peut-être pas, jusqu’ici, entrevus
ni perçus entre les termes alors mis en relation.
Depuis l’avènement du surréalisme, un nouveau type d’effet
poétique est visé : l’image surréaliste, sorte de métaphore dissonante,
asymétrique, subvertie. En effet, sont alors toujours assimilées ou associées deux
réalités, comme y procède la métaphore. Par contre, leur rapprochement ou leur
substitution s’effectue cette fois en cherchant à faire entrer en collision des
idées, choses et phénomènes n’entretenant à toute fin pratique aucune
similitude ou ressemblance nette.
En dépit de leur dissemblance prononcée, évidente : sous l’effet
de l’image surréaliste, ces termes se voient assimilés de force par la volonté
de l’auteur. Du choc des contraires, de la confrontation calculée de termes
profondément hétéroclites, est ainsi obtenue une étincelle d’originalité. Même en l'absence de ressemblances marquées, le caractère étrange, déroutant, singulier
de l’image surréaliste n’est pas sans laisser entrevoir divers types de rapprochements, ténus sans
doute, mais combien révélateurs, entre les deux réalités profondément distantes
qu’elle associe volontairement.
Ainsi, quand un poète affirme : « Ses yeux sont l’encrier
de mon inspiration » on peut y voir une métaphore traditionnelle. Les yeux
peuvent être noirs comme l’encre ; le regard de quelqu’un peut inspirer l’amour
ou diverses émotions que la plume pourra mettre par écrit ; un encrier possède
un goulot rond, comme la prunelle des yeux, etc.
Toutefois, quand l’auteur prétend : « Ses yeux, manuscrits
incendiés », il n’y a plus là de ressemblance évidente de forme ou de
fonction entre les réalités que l’image surréaliste associe de force. L’image n’en
est pas moins sujette à diverses interprétations éclairantes. Ses yeux
seraient-ils, comme un manuscrit, porteurs de messages aujourd’hui
indéchiffrables, puisque le feu (l’amour ? la haine ? la pudeur ?) l’a réduit en
cendres ? Cette image suppose-t-elle une volonté de cacher à autrui ses véritables sentiments, en anéantissant aussitôt (avant que quiconque ne puisse lire le manuscrit) ce que ses yeux auraient pu trahir ?
Aujourd'hui encore, la métaphore traditionnelle peut posséder un impact
notable, en particulier lorsqu’elle fait l’objet d’une recherche d’originalité
dans le choix des ressemblances et similitudes sur lesquelles elle se fonde. Toutefois, l’étendue
des dimensions poétiques offertes par l’image surréaliste se révèle encore plus
vaste, puisque celle-ci ne se limitera jamais au fait d’associer des termes
possédant, de façon plus ou moins évidente, des caractères analogues.
L’image surréaliste donne ainsi accès au mystère, à l’étrangeté,
à l’onirique, au merveilleux. Le vers contenant ces images nous saisit par son
caractère surprenant, sa déroutante singularité. Il fait impression sur notre sensibilité de
manière inattendue, frappe sans prévenir là où l’on ne s’y attendait pas, morsure
sournoise du poème qui engendre un délire momentané, aussi hallucinatoire que
transfigurant, tandis que se bousculent dans notre esprit les fascinantes
interprétations dont il peut être l’objet.
© 2013, Martin
Mercier / Éditions Figura
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